Avec le Nord comme terreau de son imaginaire d’enfance, Anne Loubet regarde la vie avec une certaine légèreté, observe ses contemporains sans drame ni tragédie et sacralise les gestes ou les personnes ordinaires, portée par un idéal communautaire.

Des études de lettres, puis de cinéma documentaire à l’Université de Lille, la mènent en finalité vers la photographie à l’école d’Arles. Tout autant inspirée par l’audace performative de Sophie Calle que par la frontalité des portraits de Diane Arbus, par les scènes de vie des peintures de Goya ou de Bruegel. Cependant, Route One USA du cinéaste Robert Kramer est la marque ultime de sa propre allégorie, road movie d’un docteur qui, de retour au pays natal après un long exil, parcourt cette route pour ausculter ses contemporains.


Car si Anne Loubet choisit un Yashicamat 6x6 argentique, – outil léger qui permet un lien oculaire avec le sujet – ou un 50 mm, c’est bien pour rester en contact avec l’autre, voire franchir la frontière de l’intime. Dans un va-et-vient du Nord au Sud, elle chemine les territoires et fait sa propre auscultation photographique de ceux qui forment son paysage humain. Particulièrement les oubliés, les occultés, les Vieux - comme on dit –, Anne les considère, les réconcilie à la communauté des vivants, à l’échelle de la vie. « Te voir vieillir me donne un avenir » pourrait être son credo : rendus visibles, ils redeviennent souverains, rappelant que seule la conscience de la mort nous permet d’embrasser la vie.

La Vie, les vieux, les jeunes, la force du collectif, le besoin de faire corps commun, de faire Un. Photographier pour se convaincre – et convaincre – qu’il y a encore du sens à vivre ensemble. Et puisqu’aujourd’hui Marseille est son point de mire, faire aussi corps avec la mer, depuis les collines ou les plages, comme un espace vivant qui nous constitue. Souvent immergée dans un territoire clos, Anne observe les liens subtils qui relient les individus au lieux de vie, les gestes qui font parler leurs corps et à distance sensible, les croque en gardant les yeux grands ouverts.

Valérie Fougeirol