Une question alimente nos échanges. Pourquoi et comment une évacuation forcée de 20 000 habitants a pu être oubliée, effacée de l’histoire collective pendant plusieurs décennies ?

Le dimanche 24 janvier, vers 6 heures du matin, la police française et 5 000 soldats allemands évacuent de force les habitants des Vieux-Quartiers, labyrinthe de ruelles imbriquées entre le Panier et le Vieux-Port de Marseille.
20 000 personnes sont évacuées, 12 000 hommes, femmes et enfants sont acheminés vers le camp d’internement de Fréjus, 1 642 personnes sont déportées en Allemagne, dont 782 Juifs. Quant aux autres, après une semaine passée dans des baraquements infestés de poux, ils trouvent à leur retour dans la cité phocéenne des appartements pillés puis dynamités par les artificiers allemands. Il ne reste alors qu'un champ de ruines de 14 hectares, sous lesquels sont ensevelis les souvenirs et les espoirs d’une vie meilleure.

Feriel Alouti, autrice et journaliste, consacre en 2020 un récit fouillé à cet évenement et réalise il a été effacé de la mémoire collective, mais aussi, au sein des familles de victimes. Après plusieurs échanges avec Aurélie Darbouret, également autrice, naît l’envie de faire parler les survivants et leurs descendants pour interroger une mémoire difficile à transmettre, et, peut-être, comprendre les raisons de cet oubli. Cette histoire doit être partagée avec le plus grand nombre.

La photographe Anne Loubet rejoint alors l’équipe pour déployer le récit visuel. L’idée de réaliser un récit choral mêlant photos, archives familiales, témoignages écrits et audio, se dessine.  Anne s’empare du concept de la mémoire enfouie et compose pour chaque témoin un portrait contemporain couleur sur lequel viennent se superposer en couches multiples les archives intimes de sa famille.

Au fil de nos recherches et de nos discussions, nous collectons de précieux témoignages. L’émotion transparaît à travers les voix des témoins, la singularité et le caractère inédit des paroles. Les visages, les regards, les corps portent le poids de cet héritage. Les survivants, les enfants et petits-enfants de déportés ne racontent pas seulement l’histoire de cet événement, ils se confient sur la difficulté de transmettre cette mémoire et de la recevoir en héritage.

L’exposition Anamnèse(s), financée par la ville de Marseille, est inaugurée en janvier 2023 dans le cadre de la commémoration des 80 ans de la rafle du Vieux-Port. Pendant un mois, les portraits de survivants, d’enfants et de petits-enfants de victimes, sont offerts aux passants, en grand formats dans l’espace public, place Bargemon, sur les lieux méme de la tragédie.




Anamnèse(s)